En 1750, un officier de Marine brestois, Sébastien Bigot de Morogues, à la fois capitaine d’artillerie et capitaine des vaisseaux du roi, savant distingué et membre correspondant de l’Académie des sciences, avait entrepris, avec une quinzaine d’autres officiers attirés par les sciences, la rédaction d’un dictionnaire de Marine. Profitant d’une visite à Brest du secrétaire d’État de la Marine, Antoine-Louis Rouillé de Jouy, Bigot de Morogues lui proposa la création d’une académie de Marine dans ce port. Rouillé accueillit cette demande avec intérêt et en confia l’examen à une commission composée du conseiller d’État Bertrand Pallu, du premier commis de la Marine Joseph Pellerin et de deux membres de l’Académie des sciences, l’astronome Louis Godin et l’inspecteur général de la Marine Henri-Louis Duhamel Du Monceau. Ces quatre rapporteurs ayant rendu à l’unanimité un avis favorable, le ministre demanda à Bigot de Morogues de lui soumettre un projet de règlement que lui-même amenda profondément pour créer une académie nationale, et non plus seulement brestoise, destinée à accueillir aussi des membres résidant à Rochefort, à Toulon et dans la capitale.
Le règlement du 30 juillet 1752 répartissait les 75 membres de la nouvelle académie en quatre classes : 10 académiciens honoraires « choisis parmi les principaux officiers de la Marine et parmi les personnes recommandables par leur intelligence dans la mathématique et la physique... », 10 académiciens libres « ...personnes de mérite attachées ou non attachées à la Marine, qui seront jugées utiles à l’Académie par leurs connaissances ou leurs correspondances... », 30 académiciens ordinaires « ...tous attachés au service de la Marine, dont quinze environ seront du département de Brest », enfin 25 académiciens adjoints, également attachés au service de la Marine, d’une moyenne d’âge sensiblement inférieure à celle des membres ordinaires, mais possédant tous des connaissances de bon niveau dans les mathématiques, la physique et les sciences de la navigation.
La première réunion de l’Académie se tint à Brest le 31 août 1752. Son objectif primordial était l’amélioration des connaissances professionnelles des officiers et des techniques de constructions navales, mais son règlement l’invitait également à étendre le champ de ses recherches aux mathématiques fondamentales, à la physique, aux arts et à l’histoire naturelle.
Dès ses débuts, l’Académie de Marine connut une intense activité. Toutes les branches de l’art nautique ‒ architecture navale, hydrodynamique, manœuvre des navires, astronomie, navigation, hydrographie, artillerie, physique, médecine navale ‒ firent l’objet de nombreux mémoires étudiés et discutés au cours de séances hebdomadaires. D’autre part, un groupe d’académiciens travailla activement à un Dictionnaire de Marine dont l’ambition était de décrire les applications maritimes de toutes les sciences et techniques du temps.
Malheureusement, ce bel élan fut bientôt ralenti par l’imminence d’une nouvelle guerre contre l’Angleterre qui mobilisa la plupart des membres ordinaires et adjoints pour l’armement et le service de la Flotte de guerre. Dès 1755, le nombre des séances annuelles de l’Académie tomba d’une cinquantaine à vint-six. En 1760, son activité était devenue à peu près nulle et elle avait virtuellement cessé d’exister. À partir du retour de la paix, en 1763, Bigot de Morogues tenta toutefois de la rétablir, mais il lui fallut attendre six ans avant de voir le duc César Gabriel de Choiseul-Praslin, secrétaire d’État de la Marine, exaucer ce souhait. Le nouveau règlement, daté de Versailles le 24 avril 1769 et signé du roi Louis XV, la fit renaître, cette fois, avec le titre d’ «Académie royale » tout en maintenant son siège à Brest. Une subvention annuelle de 4.000 livres lui fut également accordée, ainsi qu’un emblème représentant un vaisseau de ligne toutes voiles dehors et la devise Per hanc prosunt omnibus artes , qui sont toujours les siens.
Reconduisant pratiquement toutes les dispositions du règlement de 1752, celui de 1769 n’en différait que par la réduction à 60 du nombre des académiciens : 10 honoraires, 10 associés (remplaçant les anciens membres libres), 20 ordinaires et 20 adjoints. Mais dès 1771, leur nombre total fut porté à 70 par l’adjonction de 5 honoraires et de 5 associés supplémentaires.
Après une séance initiale tenue à Brest le 24 mai 1769, Bigot de Morogues, élu directeur, donna une vigoureuse impulsion à la reprise des travaux de la nouvelle académie. Celle-ci accepta, d’autre part, dans sa séance du 23 avril 1771, de coordonner plus étroitement que par le passé ses activités avec celles de l’Académie des sciences.
De 1770 à 1777, l’Académie royale de Marine ne tint pas moins de 387 séances, soit une moyenne annuelle de 48. Même si la reprise des hostilités sur mer à partir de 1778 ralentit ses travaux, elle ne les interrompit pas pour autant puisqu’en 1780, alors que nombre de ses membres se distinguaient dans les opérations navales de la Guerre d’indépendance américaine, elle put tenir 22 séances. Et dès le retour de la paix en 1783, ses activités reprirent de plus belle dans les domaines de la construction, de l’artillerie et de la tactique navales, de la navigation, de l’hydrographie, mais aussi des sciences naturelles, de la physique et des mathématiques appliquées. En revanche le projet de Dictionnaire de Marine fut abandonné en 1782, mais les articles déjà rédigés furent intégrés à l’Encyclopédie méthodique ‒ Partie Marine, publiée de 1783 à 1787 par le mathématicien Étienne Nicolas Blondeau et l’ingénieur-constructeur Honoré Sébastien Vial Du Clairbois.
Au cours des années précédant la Révolution, l’Académie fit fréquemment appel à ses correspondants dont le nombre n’était pas limité par le règlement de 1769. Alors qu’il n’en existait qu’un seul à l’origine, on en comptait 21 (Français et étrangers) en 1784. Les troubles révolutionnaires entraînèrent néanmoins un net ralentissement des travaux. De 29 en 1789, le nombre des séances diminua rapidement. En 1793, il n’y en eut que cinq et ce furent les dernières avant le décret de la Convention nationale du 8 août 1793 qui supprimait toutes les académies.
Au fil de ses 41 années d’existence, l’Académie avait regroupé toute une élite de marins, d’ingénieurs-constructeurs, d’astronomes, d’administrateurs, de médecins, de dessinateurs et une pépinière de jeunes officiers dont les combats ou les rigueurs du service à la mer devaient malheureusement anéantir trop souvent dans l’œuf les talents prometteurs. Elle s’était aussi ouverte sur l’extérieur en cooptant, à partir de 1774, des correspondants étrangers de valeur. Enfin, plusieurs de ses membres appartenaient également à l’Académie des sciences avec laquelle elle avait été associée en 1771.
Les seize volumes du fonds historique de l’Académie royale de Marine rassemblent les registres de procès-verbaux des séances et les mémoires lus au cours de celles-ci, ainsi que les mémoires des correspondants français et étrangers et des documents divers (correspondance échangée avec le secrétaire d’État de la Marine, lettres reçues par l’Académie et réponses de celle-ci, travaux exécutés, lettres originales d’académiciens). Conservé par le département Marine du Service historique de la Défense, au Château de Vincennes, ce fonds a fait l’objet d’un inventaire analytique qui peut être consulté sur le site de l’Académie de Marine en cliquant sur « Archives ».
Philippe Henrat
Nous exprimons notre gratitude à tous ceux qui nous ont apporté une aide précieuse dans l’identification de certains des membres de l’Academie de Marine, en particulier les correspondants étrangers. Qu’il nous soit donc permis de remercier tout spécialement :
- le professeur Philippe Haudrère, secrétaire perpétuel adjoint de l’Académie de Marine,
- le capitaine de vaisseau (e.r.) Lars Wedin, de la Marine suédoise, membre associé étranger de l’Académie de Marine,
- le capitaine de frégate (H) Jean-Paul Billot, de l’Intra-Marine,
- le lieutenant de vaisseau (H) Gérard Manson, de l’Intra-Marine,
- le professeur Louis Le Hardy de Beaulieu, président de l’Académie royale de Marine belge,
- le professeur Manuel Bustos-Rodriguez, du Département d’histoire moderne de la Faculté de philosophie et de lettres de l’Université de Cadix.